Année 2002
L'affaire
du rapport manipulé de la Hague
Le Figaro, 12 mars 2002
[Mise en ligne le 12/03/2002]
Alors que le ministère de la Défense
a retiré la semaine dernière les missiles sol-air Crotale
autour de la Hague, la polémique portant sur les conséquences
d'une attaque terroriste sur l'usine de retraitement de la Cogema vient
de se déplacer sur le terrain judiciaire.
L'association Wise-Paris, un cabinet d'expertise
privé, antinucléaire, a déposé plainte contre
X, le 19 février dernier, auprès du tribunal de grande
instance de Paris, pour « faux » et « usage de faux
». L'association dénonce la diffusion d'un faux rapport,
à l'automne dernier, dans le seul but de discréditer une
étude qu'elle a réalisée sur l'usine de la Hague.
Cinq jours après les attentats du World Trade Center, Le Monde
publiait un article intitulé : « Un avion sur la Hague
créerait un Tchernobyl » (1). Le quotidien
citait une étude de Wise-Paris réalisée pour le
compte de la direction générale de la recherche du Parlement
européen, dans le cadre d'un programme d'évaluation des
questions scientifique appelé Stoa, selon l'acronyme anglais.
Selon Wise, 17 600 tonnes de combustible nucléaire usé
sont stockées à la Hague. Les piscines de l'usine contiennent
287 fois plus de césium 137 qu'il n'en a été relâché
dans le fameux nuage de Tchernobyl. En cas d'accident à la Hague,
calculait Wise en annexe de son rapport, la dose radioactive collective
serait cinquante fois celle reçue à la suite de la catastrophe
ukrainienne de 1986. Des estimations aussi inquiétantes n'ont
pas manqué de rapidement déclencher une polémique,
en France, et particulièrement dans le département de
la Manche.
C'est à Cherbourg justement que, le 10 novembre, paraît
un article dans La Presse de la Manche : « Crash sur la Cogema
: le rapport Wise démonté ». Le quotidien départemental
cite un rapport intitulé « Groupe de conseils scientifiques,
rapport d'évaluation du rapport d'étude définitif
sur les éventuels effets toxiques des usines de retraitement
nucléaire de Sellafield et de la Hague ». Ledit rapport
estime que le calcul de Wise sur la quantité de césium
qui pourrait être relâchée à la Hague est
« hautement controversé et dépourvu de crédibilité
». Le document de Wise, marqué par des « insuffisances
méthodologiques, (...) n'offre aucun fondement solide pour quelque
position politique que ce soit ». En somme, un contre-rapport
officiel règle sévèrement son compte à l'étude
d'une association sur une question controversée.
Sauf que ce « groupe de conseils scientifiques » est inconnu
au Parlement européen. Le 5 décembre 2001, Paul Engstfeld,
fonctionnaire au Parlement européen, chargé du Stoa Panel,
écrit à Wise qu'il « lui semble que le rapport cité
dans La Presse de la Manche est un faux ». D'où vient-il
? Il a été diffusé par la mairie de Cherbourg.
A-t-il été forgé de toutes pièces ? Non.
C'est en novembre 2000 que le « panel Stoa » du Parlement
européen a confié à Wise une étude qui ne
portait d'ailleurs pas sur l'usine de la Hague face au risque accidentel
ou terroriste, mais plus largement sur les effets toxiques possibles
de l'usine de la Cogema et son équivalente britannique de Sellafield.
L'identité même de Wise, sans parler du contenu du rapport,
étant suspecte aux yeux de certains élus du Parlement,
le « panel Stoa » décide, en juin 2001, de demander
à trois experts indépendants d'évaluer le document
de 150 pages produit par l'association.
L'un de ces trois « relecteurs », Ian Coudrace, du Southampton
Oceanography Centre, juge le rapport de Wise « alarmiste ».
Un autre, Peter Mitchell, de l'université nationale de Dublin,
s'interroge sur les calculs de Wise. En plus des trois experts, une
« évaluation administrative », habituelle selon les
usages complexes de ce groupe du Parlement européen appelé
Stoa, a été rédigée. Son auteur est un Français,
fonctionnaire à l'Office parlementaire d'évaluation des
choix scientifiques et technologiques, le docteur Philippe Gaillochet.
Il a rédigé son évaluation en anglais.
Or, il s'avère que le contre-rapport publié par La Presse
de la Manche ressemble à s'y méprendre au travail du docteur
Gaillochet. « On m'a dit qu'il existait un papier en français
qui ne correspondait pas tout à fait à ce que j'avais
écrit », raconte Philippe Gaillochet au Figaro. Son évaluation
n'était, selon le règlement du Stoa ou selon l'usage des
révisions des publications scientifiques, pas destinée
à être publiée. Le 23 octobre, en pleine polémique,
le Stoa a souhaité publier le rapport Wise ainsi que les trois
révisions scientifiques et celle du docteur Gaillochet. Devant
cette décision, celui-ci a démissionné de ses fonctions
d'assesseur au Stoa.
Qui a traduit, maquillé et diffusé le travail du docteur
Gaillochet ? Bernard Cazeneuve, le député-maire de Cherbourg,
qui s'en est déjà expliqué dans La Manche libre
(2), interrogé par Le Figaro, affirme n'avoir
« jamais vu ce document ». Il ne nie pas en revanche que
la mairie, qui reçoit « des tonnes de documents sur le
nucléaire », ait pu le diffuser. Le maire préside
la Commission spéciale permanente d'information de la Hague et,
à ce titre, diffuse de nombreux documents sur le nucléaire.
« C'est de l'agitation antinucléaire », résume-t-il,
habitué aux joutes avec Wise, Greenpeace et les associations
locales. La preuve ? Le rapport Wise n'était pas destiné
à être publié, en septembre, avant son adoption
par le panel du Parlement européen.
L'association estime néanmoins qu'il y a eu « faux »
et « usage de faux », un pas de plus franchi dans la guerre
de communication qui sévit depuis des décennies autour
de la Hague, un pas grave selon elle. Pour l'heure, une enquête
préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris.
Notes:
- Le Monde du 16 septembre 2001
- La Manche libre du 2 décembre 2001
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