Octobre 2001


WISE-Paris répond à COGEMA : Les conséquences de la chute d'un avion gros porteur sur La Hague dépasseraient l'imagination

WISE-Paris, 2 octobre 2001

[Mise en ligne le 03/10/2001]

Dans le texte suivant, WISE-Paris répond point par point aux affirmations de COGEMA, publiées dans un communiqué placé sur son site Internet (www.cogemalahague.fr) le 19 septembre 2001.

Dans un communiqué du 19 septembre 2001, COGEMA a vivement contesté les informations de WISE-Paris sur le risque potentiel que représentent ses installations de retraitement à La Hague face à la menace de chute d'avion de grande taille. Les attaques terroristes menées aux États-Unis le 11 septembre 2001 ont illustré de façon dramatique qu'il n'est désormais plus possible d'exclure un tel scénario sur la base de considérations probabilistes.

WISE-Paris a rendu public les résultats d'analyses effectuées dans le cadre d'une étude récente, selon lesquelles des scénarios d'accident grave entraînant une perte d'eau dans une piscine de refroidissement des combustibles usés conduiraient à un relâchement massif de substances radioactives, dont l'impact pourrait atteindre plusieurs dizaines de fois celui de l'accident de Tchernobyl. Il apparaît aujourd'hui que le crash d'un avion commercial doit être ajouté à la liste de ces scénarios.

Depuis, Michel Pouilloux, directeur de l'établissement COGEMA La Hague, a déclaré : " Je crois qu'il faut faire une analyse " sur l'impact d'une chute d'avion, car " ce qui paraissait extrêmement improbable a été réalisé à New York. Il faut maintenant le regarder " (1). COGEMA n'a donc mené, avant cette date, aucune étude approfondie d'un scénario de chute d'avion de ligne, hypothèse écartée par la réglementation applicable à la conception des installations nucléaires. Toutefois, le communiqué de COGEMA cherche à démontrer, point par point, " l'absence de rigueur " de l'étude menée par WISE-Paris (2) pour conclure qu'il est " irréaliste " de croire qu'un crash d'avion commercial sur La Hague pourrait conduire à une catastrophe.

Il revient à COGEMA de fournir la démonstration à l'appui de cette conclusion rassurante ; le communiqué du 19 septembre 2001 n'en propose pas. Les quelques éléments livrés par COGEMA, s'ils restent minces et adoptent parfois un ton diffamatoire, offrent cependant l'opportunité d'amorcer un débat sur le fond, que WISE-Paris souhaite aussi rigoureux que possible. En particulier, les points détaillés ci-après du communiqué COGEMA du 19 septembre 2001 (citations reprises en couleur) appellent nos commentaires.

1) " L'absence de rigueur scientifique de l'étude de WISE-Paris est d'abord illustrée par la comparaison faite avec Tchernobyl. Non seulement, l'usine de La Hague est une installation industrielle chimique ne s'apparentant en aucune façon à un réacteur nucléaire, mais son activité même réduit les risques d'accidents dus à une chute d'avion. "

Il ne s'agit évidemment pas d'affirmer que le scénario d'accident observé à Tchernobyl peut se reproduire à l'identique dans une piscine d'entreposage de combustible irradié. Mais ceci ne signifie en rien qu'un scénario spécifique conduisant au même type de relâchement massif de substances radioactives est impossible. De fait, la NRC a publié en octobre 2000 aux États-Unis une étude (3) décrivant des scénarios de cet ordre (vidange accidentelle des piscines, feu de zirconium, etc.). La comparaison proposée par WISE-Paris ne porte pas sur les scénarios eux-mêmes, mais sur l'impact de scénarios différents conduisant à des effets de même nature (relâchement et dispersion de grandes quantités de césium-137).
Les usines de retraitement de La Hague constituent effectivement une " installation industrielle chimique " d'un type très particulier, qui n'a assurément rien à voir - sauf la présence de matières nucléaires - avec un réacteur. Il n'est cependant pas du tout évident que, comme l'affirme COGEMA, sa spécificité se traduise par une réduction des risques. Au contraire, on peut légitimement s'interroger sur les impacts potentiels d'un crash d'avion sur le site de La Hague par rapport à une autre installation nucléaire lorsqu'on sait quel inventaire de matières radioactives y est rassemblé : le site concentre dans ses piscines de refroidissement une quantité de combustible équivalente à 70 cœurs de réacteurs environ (4), à laquelle s'ajoutent dans d'autres entreposages de l'ordre de 55 tonnes de plutonium séparé pulvérulent (5) et plus d'un millier de mètres cubes de déchets hautement radioactifs à vie longue.
Cette logique de concentration ne peut qu'accroître à la fois les possibilités de scénario de relâchement massif et les quantités mises en jeu dans de tels scénarios. C'est le sens de l'évaluation rendue publique par WISE-Paris : un accident grave produisant un relâchement majeur conduirait à la dispersion dans l'environnement de quantités très supérieures à celles relâchées par l'accident de Tchernobyl, avec un impact potentiel en proportion.

2) " Le combustible usé présent sur le site y est en effet moins vulnérable que dans une centrale nucléaire ou à proximité. Quant aux résidus vitrifiés issus du traitement, ils sont totalement inertes et exempts de tout risque. "

La vulnérabilité comparée du combustible nucléaire dans les centrales ou dans les piscines d'entreposage à La Hague dépend de la résistance des structures qui l'abritent. COGEMA fait état de parois en béton armé allant de 80 cm à 1,60 cm " en moyenne ", mais n'indique pas quelle est l'épaisseur exacte de la partie la plus exposée, c'est-à-dire la dalle de toit du bâtiment d'entreposage. L'enceinte de confinement des réacteurs français de 900 MW mesure 90 cm, ceux de 1.300 et 1.450 MW possèdent deux enceintes successives de 55 cm et 1,20 m séparées par un vide de deux mètres (6). Un réacteur de 1.300 MW mesure environ 40 m de diamètre pour 50 m de haut, que l'on peut comparer aux 90 m de long pour 30 m de large des bâtiments abritant les piscines C, D et E. La protection des piscines semble donc au mieux comparable - et plus probablement inférieure - à celle des réacteurs, dont l'autorité de sûreté, la DSIN, a reconnu le 13 septembre qu'ils n'étaient pas dimensionnés pour résister à une chute d'avion commercial… On comprend pourquoi : d'après les évaluations menées par la NRC, la probabilité de pénétration d'un avion de masse supérieure à 5,4 t dans un mur en béton de 1,20 m, soit la médiane des chiffres avancés par la COGEMA, est supérieure à 55 %. Les avions de ligne atteignent des poids de plusieurs centaines de tonnes, et ont en cas de choc un impact plusieurs dizaines à plusieurs centaines de fois supérieur à celui pris en compte dans le dimensionnement des installations nucléaires.
Concernant les déchets vitrifiés issus du retraitement, leur caractère inerte est la condition nécessaire à la non dispersion d'origine interne aux colis des produits de fission hautement radioactifs et des actinides à durée de vie très longues qu'ils contiennent. Un évènement d'origine externe peut cependant conduire à leur dispersion si l'apport énergétique est suffisant : il s'agit dès lors d'évaluer la résistance de ces colis aux conditions de choc et de chaleur d'une chute de gros avion avec incendie de kérosène, et non pas d'affirmer abruptement que ces colis sont " exempts de tout risque ".
D'après les informations recueillies par WISE-Paris, les spécifications techniques concernant les déchets vitrifiés, indiqueraient que ce type de déchet doit être maintenu en permanence à une température inférieure à 510°C, qu'à 546°C le verre utilisé commence à se déformer et qu'il devient liquide à 1.160°C - une température que peut dépasser un feu de kérosène. De plus, ces déchets hautement actifs sont issus de la vitrification des solutions liquides contenant les " résidus " du retraitement. Les usines de La Hague opèrent depuis 1990-1991 la vitrification " en ligne ", c'est-à-dire sans entreposage des déchets sous leur forme liquide. COGEMA a cherché depuis cette date à vitrifier les stocks de déchets liquides entreposés avant l'ouverture de ces ateliers. Il n'est pas exclu que des stocks résiduels de déchets hautement actifs subsistent à ce jour sur le site sous leur forme liquide d'origine, beaucoup plus dispersable que la forme vitrifiée (7). Il semblerait par ailleurs que les spécifications techniques fassent état d'une durée d'entreposage d'un an entre la concentration des produits de fission et leur vitrification, ce qui impliquerait l'existence d'un stock tampon significatif de déchets liquides de haute activité.
D'autres problèmes semblent être soulevés au vu de ces mêmes spécifications techniques, concernant les déchets bitumés. Ces déchets correspondent aux boues produites lors des opérations de retraitement, qui jusqu'en 1998 (8), étaient coulées avec du bitume dans des fûts métalliques de 210 et 225 l, possédant une paroi d'un millimètre d'épaisseur. Ces déchets deviennent fluents vers 50°C, brûlent lorsqu'ils sont soumis à un feu de 350°C, et s'enflamment spontanément lorsque la température ambiante atteint environ 400°C. Fin 1999, de l'ordre de 2.350 m3 (9.898 fûts) de déchets bitumés étaient entreposés sur le site de La Hague.
Il faut par ailleurs noter les grandes quantités de boues (9.300 m3), de coques et embouts (2.245 t), de magnésium (9) et de graphite (2.930 m3) stockées en vrac dans des silos. Ces silos ont déjà démontré leur sensibilité au feu le 6 janvier 1981, en provoquant l'accident recensé le plus important (classé niveau 3 sur l'échelle INES) qui soit survenu sur le site de La Hague.
Enfin, COGEMA omet de mentionner les autres stocks énormes de matières radioactives entreposées sur le site, en particulier le plutonium entreposé sous forme de poudre - donc fortement dispersable en cas de scénario de relâchement, ainsi que des quantités inconnues d'uranium de retraitement potentiellement sous forme liquide (10).

3) " Par ailleurs, WISE-Paris prend comme hypothèse le relâchement dans la nature de l'intégralité du césium contenu dans les combustibles en piscine. Cette hypothèse est dénuée de fondement scientifique. "

Une hypothèse précise sur le pourcentage de relâchement doit correspondre à un scénario précis de relâchement. Dans son évaluation, WISE-Paris ne s'intéressait pas à un scénario spécifique mais s'attachait au contraire à montrer l'impact potentiel de scénarios possibles de relâchement. L'étude d'octobre 2000 de la NRC, qui fournit la base de cette évaluation, indique clairement une fourchette possible de 50-100 % pour le relâchement du contenu en césium?137 d'une piscine dans les scénarios les plus pénalisants. WISE-Paris a retenu l'hypothèse 100 % et évalué les quantités relâchées dans cette hypothèse sur la base du contenu de la plus petite piscine de La Hague remplie à la moitié de sa capacité d'entreposage : on aboutit ainsi à 66 fois les quantités estimées de césium?137 relâchées par l'accident de Tchernobyl ; il est vrai qu'avec l'hypothèse basse de la fourchette NRC ce chiffre " tombe " à 33 fois. En outre, même un relâchement limité à quelques pour cent du contenu en césium de la plus petite piscine à moitié chargée conduirait à des conséquences totalement inacceptables.
L'affirmation de COGEMA selon laquelle l'hypothèse des 100 % est " dénuée de fondement scientifique " revient à avoir démontré qu'aucun scénario imaginable ne donnerait lieu à un tel relâchement. S'agissant de scénarios de perte de liquide dans les piscines et de propagation d'incendie par " feu de zirconium ", ce sont des calculs sur l'énergie dégagée qui permettent d'évaluer le taux de relâchement. Les analyses effectuées depuis par WISE-Paris (Les installations nucléaires exposées aux risques de chute d'avion) montrent que l'impact de la chute d'un avion gros-porteur sur une piscine de La Hague pourrait entraîner la destruction ou l'endommagement sévère de la piscine ciblée mais aussi de plusieurs piscines et d'autres ateliers du site.

4) " En premier lieu, les combustibles sont très bien protégés car contenus dans des gaines elles-mêmes assemblées et tenues dans des alvéoles métalliques, le tout placé sous quatre mètres d'eau. Leur refroidissement à une température moyenne de 40° est assuré en permanence et, dans l'hypothèse déjà improbable où ils se retrouveraient hors d'eau, plusieurs jours seraient nécessaires pour qu'ils parviennent à une température équivalente à celle atteinte dans les réacteurs. Enfin, la température des combustibles pourrait être maintenue, grâce aux moyens d'intervention dont dispose l'usine, à un niveau tel que les risques de fusion ultérieurs peuvent être écartés. "

Ces remarques s'appliquent aux scénarios d'accident ayant une cause interne, lié à un aléa dans la conduite de l'installation - vidange accidentelle d'une piscine, panne des circuits d'alimentation en eau… On peut discuter du déroulement de ce type de scénario, par exemple de la vitesse effective de vidange des piscines, ou de la température effectivement atteinte selon la configuration des combustibles, ou encore de l'efficacité réelle des moyens d'intervention.
Les propos rassurants de COGEMA sont sur ce point en contradiction avec l'étude récente de la NRC citée plus haut, qui conclut que ce type de scénario d'origine interne peut conduire à un relâchement massif de matières. Une étude IPSN (Institut de protection et de sûreté nucléaire) (11) de 1997, portant sur le dénoyage total de la piscine confirme qu' " une première approche par calcul en cas de dénoyage total a montré qu'en l'absence d'aménagement complémentaire du bâtiment de la piscine D la température de l'air dans le bâtiment augmenterait de 10°C par heure et atteindrait ainsi 1.000°C au bout de quatre jours. Dans le cas d'un dénoyage partiel, du fait de l'inertie thermique de l'eau, cette même température, conduisant à un risque inacceptable de rupture de gaines, serait atteinte après environ sept jours ".
Les mêmes remarques ne sont en revanche que peu valables dans le cas d'une origine externe telle que l'impact d'un avion, puisque celui-ci peut justement détruire ou affecter l'ensemble des protections décrites par COGEMA : les gaines et la géométrie des assemblages, la présence d'eau dans la piscine et les systèmes régulant sa circulation, et même la capacité de fonctionner des moyens d'intervention une fois la zone sinistrée et peut-être fortement contaminée.
Une étude IPSN (12) , datant de 1997, a montré sous forme de compte rendu d'expériences qu'un feu alimenté par une tonne de kérosène répandu sur une surface de 20 m2, dans une installation de 3.600 m3, porterait la température ambiante à 750°C en 15 minutes, 860°C en une heure et pourrait atteindre 1.200°C en 6 heures. D'autre part, la surpression de 365 mbar atteinte en 75 secondes au cours de l'expérience tend à montrer que l'incendie pourrait se propager à d'autres installations reliées au foyer de l'incendie via les systèmes de ventilation. Enfin, l'IPSN conclut dans son étude que " ce résultat signifie que certaines règles appliquées actuellement sont, du point de vue de la protection des biens et des hommes, inadaptées ". Rappelons que la piscine D prise en exemple dans les calculs de WISE-Paris mesure 16,6 m de large et 69 m de long pour une profondeur de 10,6 m ; le bâtiment qui la contient mesure 24 m de large, 77 m de long et 15,5 m de haut soit 1.848 m2 pour 28.644 m3. La surface au sol du bâtiment est donc 92,4 fois celle utilisée dans les expériences décrites par l'IPSN, le volume près de 8 fois. Un Boeing 767 peut embarquer jusqu'à 90.770 l de kérosène soit environ 90 t, ou encore 90 fois les quantités de carburant utilisées lors des expérimentations IPSN. Bien que ceci ne puisse pas constituer une démonstration scientifique, les ordres de grandeur précédents laissent supposer que l'incendie consécutif à un crash sur une piscine puisse être plus pénalisant encore que celui de l'IPSN, ce qui laisserait bien peu de temps aux " moyens d'intervention " invoqués par COGEMA pour agir.

5) " COGEMA a étudié, bien avant les attentats commis aux Etats-Unis, l'éventualité d'un accident provoquant la vidange totale des piscines. Il est apparu que cette vidange ne serait pas immédiate et que le réchauffement des matières radioactives s'étalerait sur plusieurs jours, laissant le temps au dispositif anti-incendie de l'usine d'intervenir avec efficacité. En effet, l'usine COGEMA de La Hague dispose d'un centre de secours et d'un effectif d'une cinquantaine de pompiers hautement spécialisés et familiers des installations. Les capacités d'intervention anti-incendie propres au site sont équivalentes à celles d'une ville de 35 000 habitants. "

Certes l'élévation de température " naturelle " des combustibles se retrouvant hors d'eau est un scénario calculable et probablement prévu dans le dimensionnement des dispositifs de sûreté, mais là encore, la COGEMA étudie le cas d'une défaillance interne dont les conséquences s'étalent dans le temps, laissant ainsi une marge de manœuvre suffisante aux dispositifs de sûreté pour se mettre en œuvre.
Le scénario accidentel de chute d'avion se déroule sur une durée très courte, avec une zone à prendre en compte qui dépasserait largement la surface du bâtiment considéré et avec un apport d'énergie thermique considérable. Par conséquent, le bon fonctionnement des dispositifs de sûreté pourrait être mis en jeu, l'intégrité de la piscine remise en question et la durée de vidange écourtée, sous l'effet combiné de l'impact puissant et de la chaleur intense (jusqu'aux alentours de 2.000°C) que dégagerait un feu alimenté par plusieurs dizaines de tonnes de kérosène. Lors des événements de New York du 11 septembre 2001, ce sont les équipes de secours et les pompiers d'une ville de plusieurs millions d'habitants qui ont été mises en œuvre.

6) " L'usine de La Hague bénéficie de ce que l'on appelle une défense en profondeur. La quasi-totalité de ses bâtiments sont ainsi protégés par une épaisse couche de béton d'une extrême robustesse. "

Rien, dans les informations fournies à ce jour par COGEMA, n'indique que cette couche de béton a été conçue pour résister à l'impact d'un avion commercial à pleine vitesse. Au contraire, les déclarations diverses de responsables de COGEMA comme de responsables de la sûreté nucléaire confirment l'idée qu'elles ne sont pas dimensionnées pour un tel scénario, qui n'a même jamais été étudié. De plus, différents experts en bâtiment et en construction ont commenté l'effondrement des tours du World Trade Center après les attentats du 11 septembre 2001 en affirmant qu'aucune construction ne saurait résister à un tel impact. La notion d' " extrême robustesse " apparaît par ailleurs difficile à définir et à quantifier sur un plan scientifique.

7) " Comme l'a rappelé le Directeur de l'Autorité de sûreté nucléaire dans des déclarations ces derniers jours, aucune installation nucléaire n'a été conçue pour résister à la chute d'un avion de ligne. COGEMA et l'Autorité de sûreté nucléaire avaient retenu l'hypothèse de la chute d'un bimoteur, mais, jugé trop improbable le risque accidentel de chute d'un avion gros-porteur (moins de 1 sur 100 millions). "

D'une part, COGEMA omet de préciser que les déclarations du Directeur de la sûreté des installations nucléaires s'appliquaient aux réacteurs nucléaires (voir le communiqué de la DSIN du 13 septembre 2001, http://www.asn.gouv.fr/data/information/36avion.asp). La règle fondamentale de sûreté sur la prise en compte du risque de chute d'avion applicable aux réacteurs est entrée en vigueur en 1980. Concernant les autres installations nucléaires, donc celles du type des usines de La Hague, la règle fondamentale de sûreté équivalente n'a été publiée qu'en 1992, soit bien après la construction de l'essentiel des équipements du site. Rien n'indique à ce jour de quelle manière, en l'absence de contrainte réglementaire, le risque de chute d'avion a été effectivement pris en compte ou non dans la conception des installations.
D'autre part, l'affirmation selon laquelle COGEMA a retenu l'hypothèse d'un bimoteur contredit les informations présentées en 2000 par COGEMA dans le dossier soumis à enquête publique pour la révision des autorisations de ses usines. En effet, l'étude de dangers du dossier concernant les modifications envisagées sur l'INB 117 (UP2-800), indique que " pour le site de La Hague, l'aéronef de référence choisi est le Cessna 210 chutant à 100 mètres/seconde au plus, avec une probabilité d'un impact de quelques unités sur cent milliards par mètre carré et par an. " La Règle Fondamentale de Sûreté I.1.a préconise l'étude de deux types d'avions : le Cessna 210, monomoteur à hélice de 1,5 t, et le Learjet 23, bimoteur à réaction de 5,7 t. Il est même possible que le CEA puis COGEMA n'aient lors de la construction des installations pris en compte aucun de ces deux cas : en effet, on peut lire dans le même dossier d'enquête publique que " pour chaque atelier de l'I.N.B [Installation nucléaire de base], la probabilité de chute d'un avion entraînant des conséquences sur l'environnement est inférieure à un dix millionième sur une période de 1 an, probabilité jugée suffisamment faible pour que ce risque ne soit pas pris en compte dans le dimensionnement. "
Sur le fond, cet argumentaire s'appuie sur une logique probabiliste - un impact grave multiplié par une probabilité très faible égalent… un " risque acceptable " - qui n'est plus de mise aujourd'hui. C'est justement parce que ce raisonnement n'est plus applicable qu'il est urgent de réfléchir aux conséquences potentielles d'un scénario de crash d'avion commercial sur le site, qui de pas impossible mais inimaginable avant le 11 septembre 2001 est devenu non seulement possible mais plausible depuis.

8) " L'usine fait l'objet d'une interdiction permanente de survol. Compte tenu de sa position géographique, la Défense Nationale aurait le temps d'intervenir si une infraction à cette règle était suspectée. "

Manque de rigueur ou omission, la COGEMA écrivait dans ses dossiers d'enquête publique que " le site de La Hague fait l'objet d'une interdiction de survol à basse altitude : 300 m pour les monomoteurs et 1000 m pour les multi-moteurs. " Est-il alors possible ou non de survoler La Hague sans être suspecté ? La configuration de l'espace aérien autour de La Hague permet d'envisager le cas où un avion gros porteur, dérouté de son couloir aérien situé à 30 km, survolerait les installations de La Hague 2 min 30 s plus tard. Pire encore, il n'y a que 8 km, ou 40 s de vol, de la TMA (Terminal Movement Area) la plus proche au site. Ce délai est clairement en deçà des délais possibles d'intervention de la Défense Nationale quelque soit son état d'alerte.

9) " Les structures sont en partie construites en sous-sol et les piscines occupent une faible superficie par rapport à l'ensemble des autres installations dans lesquelles elles se trouvent insérées. Il serait donc impossible à un avion de percuter verticalement une piscine. "
" Les piscines sont indépendantes les unes des autres et leur configuration rend impossible une percussion simultanée. De plus, leurs parois de béton armé ont en moyenne 80 centimètres à 1,60 mètre d'épaisseur et sont conçues pour résister à des séismes de magnitude 8. "

La superficie occupée par la zone des piscines de La Hague, qui sont accolées les unes aux autres, est bien supérieure, y compris sous un angle oblique, à l'aire d'impact sur les tours du World Trade Center. On a pu constater que des pilotes entraînés étaient tout à fait capable d'atteindre des objectifs de quelques 50 m de large. Peut-on croire ensuite qu'il est impossible d'atteindre une zone de plus de 100 m x 100 m sous un angle de 45° par exemple ?
L'envergure des avions gros porteurs de type commercial combinée à la configuration des piscines d'entreposage des combustibles irradiés (voir plan page 14 du briefing de WISE-Paris), sans parler de la dispersion de débris et de kérosène en cas d'impact, nécessite la prise en compte d'un impact simultané sur plusieurs installations d'entreposage. Pour mémoire, les piscines C et A sont séparées par une zone d'environ 25 m de large, à comparer aux 47,6 m d'envergure d'un Boeing 767.
Sur quelles bases COGEMA compare-t-elle un séisme de magnitude 8 et la chute d'un gros-porteur ? Quel est donc le dimensionnement retenu en cas de chute d'avion pour chaque partie sensible du site de La Hague ?

10) " Au sol, la sécurité des installations de la Hague est assurée en permanence par des forces de sécurité spécialisées propres à COGEMA. L'ensemble du site est entouré d'une double clôture périphérique et muni de systèmes de détection et de télésurveillance très sophistiqués. L'accès aux zones les plus sensibles n'est possible que pour les personnels dûment autorisés. "
" Ces mesures ont encore été renforcées depuis le 11 septembre avec la mise en place du plan Vigipirate. Les visites du public sont notamment suspendues depuis cette date. "

Les données publiées par WISE-Paris concernent l'impact possible de la chute d'avion sur des installations de La Hague. Les " forces de sécurité spécialisées propres à COGEMA " n'y changent rien.


Notes :

  1. " Frontal21 ", ZDF, 25 septembre 2001
  2. Cette étude n'a par ailleurs pas été rendue publique. Interrogée à ce sujet le 2 octobre 2001, COGEMA a affirmé ne pas disposer de l'étude dont elle dénonce pourtant sans hésiter " l'absence de rigueur scientifique "
  3. US NRC, " Study of Spent Fuel Pool Accident Risk at Decommissioning Nuclear Power Plants ", Octobre 2000
  4. 7 484,2 t de combustibles au total au 30 juin 2001 pour environ 70 t à 110 t dans le cœur d'un réacteur du parc EDF selon sa puissance. Cette quantité est supérieure au tonnage total de combustible chargé actuellement dans les 58 réacteurs exploités en France par EDF
  5. État au 31 décembre 1999, selon la déclaration de la Mission Permanente pour la France auprès de l'AIEA
  6. Source : www.asn.gouv.fr
  7. Nous appelons la COGEMA et sa tutelle ministérielle à rendre public les chiffres précis
  8. Le procédé de bitumage semble être en phase d'abandon depuis 1998, la COGEMA souhaitant à terme appliquer le procédé de vitrification pour les boues
  9. Le magnésium comme le zirconium fait partie des métaux combustibles pouvant provoquer des feux de classe D, ou feux de métaux. Les métaux concernés sont magnésium, potassium, aluminium en poudre, zinc, sodium, titanium et zirconium
  10. Interrogée sur les quantités et la forme de ces stocks en juin 2001 et relancée plusieurs fois depuis, COGEMA n'a toujours pas fourni de réponse le 2 octobre 2001
  11. J.-P. Goumondy, J. Marciano, " Étude de l'accident de dénoyage des piscines d'entreposage de combustibles irradiés ", IPSN, 1997
  12. J.-C. Malet, " Les études sur les incendies menées à l'IPSN ", IPSN, 1997

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