ACCIDENT DE CRITICITITE A L'USINE DE CONVERSION D'URANIUM DE TOKAI-MURA, JAPON

"L'APRES ACCIDENT" : IL CONTINUE

    La STA et plusieurs groupes de scientifiques indépendants ont conduit des mesures autour de l'installation de la JCO à Tokai, principalement dans la zone de 350 m de rayon. Il a été confirmé des contaminations de césium-137, iode-131, strontium-91 et sodium-24 (étendue pour ce dernier).

   Le 4 octobre 1999, on apprend que différents échantillons d'une plante très répandue ont été ramassés le 2 octobre dans cette zone par des citoyens, puis analysés à l'Institut du Réacteur de Recherche de l'Université de Kyoto (Research Reactor Institute). Ces échantillons contenaient entre 23 et 54 Bq/kg d'iode-131.

   Voici un aperçu des produits de fission détectés dans un rayon de 3 km du lieu de l'accident. Ces chiffres, proviennent de la presse écrite et télévisée, et ont été rassemblés par le CNIC (Citizens Nuclear Information Center, Tokyo) :
     - strontium-91 : 0,021 Bq/m3 dans l'air, à 900 mètres au sud-est du site ;
     - strontium-91 (krypton-91) : quantité inconnue, localisation non-spécifiée ;
     - iode 131 : 54,7 Bq/kg dans des feuilles d'une herbe commune, à 100 mètres du site ;
     - iode 133 (krypton-91) : quantité non communiquée, à 100 mètres du site ;
     - césium-137 : quantité non communiquée, en 7 endroits ;
     - sodium-24 : 64 Bq/kg à 300 mètres à l'ouest du site ;
     - sodium-24 : 1,7 Bq/kg, à 3 km à l'ouest du site ;
     - xénon-139 : dans les vomissures des travailleurs exposés ;
     - krypton-91 : dans les vomissures des travailleurs exposés.

   Des mesures de Greenpeace et d'autres organisations non-gouvernementales sur des produits provenant des alentours de l'usine - y compris de la terre et du sel de cuisine (qui se trouve être un indicateur du flux neutronique) provenant des habitations - indiquent que le gouvernement a levé trop tôt son ordre d'évacuation. Selon Greenpeace, les rayonnements neutroniques semblent avoir irradié les alentours au moins sur 500 mètres autour du site, ce qui engloberait une rue importante et plus de 170 maisons, ainsi qu'un terrain de golf et des terres agricoles.

    Lundi 4 octobre, le maire et le Gouverneur de la préfecture d'Ibaraki ont rencontré conjointement le Premier Ministre Obuchi. Ils ont fermement demandé la suspension des activités de la JCO, et ont également déclaré qu'une nouvelle législation garantissant la s˛reté des installations nucléaires devrait être mise en place.

   Au même moment, le maire de Tokaimura a ordonné la suspension totale des activités de l'installation de la JCO à Tokai (l'ensemble du travail à l'intérieur de l'installation) en se référant à l'Accord de Sécurité passé entre la compagnie et l'administration du village. C'est la première fois au Japon qu'une autorité locale sanctionne un exploitant en s'appuyant sur cet accord. Il a également été décidé que l'installation de retraitement de Tokai dont les activités avaient été suspendues depuis mars 1997, suite à une explosion et un incendie, ne redémarrerait pas pour l'instant. Cette installation de retraitement était sur le point de redémarrer. Son exploitant est l'Institut Japonais de Développement du Cycle du Combustible Nucléaire (JNC), anciennement PNC.

   Le 6 octobre 1999, selon l'Agence d'Informations de Kyoto, l'Agence pour la Science et la Technologie (STA) a décidé de retirer sa licence d'exploitation à la compagnie JCO, en raison de " la gravité de l'accident ".

   Selon Reuters, le 6 octobre 1999, un porte-parole de la police a affirmé que près de 200 enquêteurs perquisitionnaient le siège de la JCO à Tokyo et son bureau à Tokaimura, à la recherche des causes et des responsabilités de l'accident. Il a été rapporté que la STA et la préfecture de police d'Ibaraki participent aux enquêtes.

   Des sources gouvernementales citées par Kyodo montrent que les autorités ont confirmé durant leurs enquêtes que la JCO avait changé le manuel de procédure approuvé par le gouvernement pour adopter la " procédure standard " qui est illégale. Les dirigeants de la JCO ont admis que la firme avait illégalement révisé le manuel approuvé par le gouvernement pour permettre aux travailleurs d'utiliser des seaux à la place d'une pompe pour transférer une solution d'uranium dans le réservoir. Il a été révélé que les trois travailleurs de la JCO qui ont été hospitalisés à la suite d'une exposition massive aux radiations, ne portaient pas leur badge-film qui mesure la dose de radiation. Ceci est une autre grave violation des règles de sécurité.

   L'inspection de l'usine de JCO par la STA (imposée légalement) qui s'est déroulée le 3 octobre 1999 était la toute première en 10 ans. On a également appris que la STA n'avait fait aucune inspection à l'usine de retraitement de Tokai-mura, exploitée par JNC, ni à l'usine d'enrichissement de Tokkasho-mura, exploitée par JNFL, au cours des six dernières années. Selon la STA, cela serait du à une surcharge de travail.

   Le responsable du gouvernement local de Tokai est également mis en question pour n'avoir conduit aucun exercice de crise nucléaire pendant ces huit dernières années.

   Selon les informations publiées par les médias, il n'y avait pas, au moment de l'accident de "hot line" entre la préfecture et la mairie de Tokaimura. Les responsables de Tokai ont dû utiliser un réseau téléphonique publique encombré pour essayer d'obtenir auprès des autorités préfectorales des données sur les mesures de radioactivité après l'accident.

   La cellule de crise gouvernementale a été dissoute et c'est désormais une commission d'enquête sur l'accident nucléaire qui a été mise en place. Le bureau du Premier Ministre a demandé une enquête ad hoc dans toutes les installations nucléaires, les réacteurs y compris, sur l'ensemble du territoire japonais.

   Un certain nombre de manifestations et d'actions de protestation sont organisées un peu partout dans le pays par les ONG, les syndicats et les citoyens concernés.

L'uranium enrichi de Tokai-mura était d'origine militaire fran¨aise
   L'uranium à l'origine de l'accident de criticité de Tokai-mura du 30 septembre 1999 était d'origine française. C'est ce qu'a confirmé Norimichi Mori, porte-parole de la compagnie japonaise JCO au quotidien français "Le Monde". Selon des sources françaises, cet uranium enrichi à 18,8 % avait été exporté en décembre 1997. Ces 420 kg d'uranium ont été enrichis à l'usine militaire COGEMA de Pierrelatte (usine d'enrichissement fermée en 1996). La transaction a été opérée par la compagnie allemdande NUKEM. COGEMA avait expressément déclaré après l'accident qu'elle n'avait aucun accord avec JCO. En fait, le client de la COGEMA est JNC Co, l'exploitant du surgénérateur de recherche de Joyo, qui avait confié la conversion à JCO.

   Selon des informations internes, les dirigeants de la STA vont classer l'accident au niveau 5 de l'échelle internationale des incidents nucléaires (INES, International Nuclear Event Scale), et non plus au niveau 4, c'est à dire au même niveau que l'accident de Three Mile Island en 1979.

   " Bien qu'il puisse y avoir des fissures, puisque nous n'avons pas pu entrer sur le site, de l'extérieur, l'usine ne semble pas détruite " a déclaré la STA à l'AIEA, en ajoutant qu'elle ne connaissait pas la quantité de radioactivité qui avait pu s'échapper du bâtiment.

   L'attitude des porte-parole des différentes compagnies concernées par l'accident semble avoir été guidée par la nécessité de rassurer l'opinion et de mettre en cause le rôle des employés, sans s'intéresser au rôle de la direction, en particulier des dirigeants présents sur le site, ni de leurs supérieurs, que ce soit à JCO ou à la maison mère Sumitomo Metal Mining.

   Selon certaines sources rapportées par le quotidien Asahi Shimbun, les assurances couvrant les dommages en cas d'accident nucléaire risquent de ne pas dédommager le manque à gagner concernant les productions agricoles qui n'ont pu être vendues à cause de l'accident de Tokai. Les ventes devraient chuter à Tokaimura et dans les villages avoisinant de la préfecture d'Ibaraki. Les assurances risquent de ne pas couvrir non plus la totalité des pertes directs et indirects entraînées par l'accident. Il s'agit notamment des pertes liées à l'interruption des liaisons ferroviaires et la fermeture temporaire de compagnies privées. Le système d'assurance oblige les exploitants nucléaires à s'assurer contre les accidents nucléaires. De plus, il autorise l'utilisation de l'argent des contribuables - après approbation de la Diet - pour payer des compensations si l'exploitant responsable n'est pas capable de faire face à la totalité des dommages.

   Le CNIC a revu son estimation concernant la quantité d'uranium ayant fissionné et parle de "jusqu'à plusieurs dizaines de milligrammes d'U235 ". La Commission de S˛reté Nucléaire japonaise (NSC), selon le quotidien " Asahi ", maintient que les quantités seraient de l'ordre de 0,001 mg.

   La NSC a confirmé dans un rapport officiel au gouvernement que l'accident de criticité s'était poursuivi pendant 17,5 heures, en se basant sur la dose neutronique relevée par différents organismes.

  Six employés qui ont travaillé sur le circuit de refroidissement de la cuve accidentée ont reçu des doses neutron+gamma supérieures à la limite de 100 mSv, limite préconisée par l'AIEA pour les cas d'urgence. La NSC a décidé de franchir cette limite légale. Les travailleurs devraient continuer à travailler en deça d'une limite spéciale de 200 mSv, a indiqué un membre de la Commission.

   Sumitomo Metal Minining, dont JCO est une filiale à 100 %, a désormais l'intention de se retirer du secteur des combustibles nucléaires. Ceci signifie qu'un certain nombre d'exploitants japonais devront trouver des fournisseurs étrangers pour s'approvisionner en combustible (combustible standard). Par exemple, Kyushu Electric Power dépend à 70 % de JCO pour ses combustibles à uranium, et est très touché par l'interruption (et l'arrêt définitif qui semble désormais probable) des opérations de JCO.

   Le Parlement Européen a adopté une résolution demandant un contrôle totale par l'AIEA de " toutes les installations nucléaires du globe". Il demande à l'AIEA d'effectuer des contrôles et des vérifications sur place à Tokaimura, et demande aux responsables japonais de revoir les procédures de sécurité. Hirofumi Nakasone, nouveau chef de la STA (Science and Technology Agency) a accepté de laisser les inspecteurs de l'AIEA venir afin " d'augmenter la transparence et regagner la confiance internationale ". Leur arrivée est prévue pour ce soir, mardi 12 octobre.

   La visite de trois experts de l'AIEA au Japon a commencé le 14 octobre 1999, un jour après que le gouvernement japonais ait reconnu qu'un ventilateur de l'installation accidentée avait continué à fonctionner par erreur pendant 12 jours, permettant le relâchement de particules dans l'atmosphère. Ce ventilateur n'a été arrêté que le 11 octobre 1999, trois jours après que des niveaux élevés d'iode-131 ait été détectés autours de l'usine. Les niveaux de radioactivité sont toujours dangereusement élevés sur le site de Tokaimura, et l'on ne sait pas exactement à quelle distance l'équipe de l'AIEA pourra se rendre.

   Selon des experts et des scientifiques réunis en symposium à l'Université Seika de Kyoto, le 4 octobre 1999, la responsabilité du gouvernement devait être engagée face à l'accident survenu à Tokai. Ils se sont également déclarés préoccupés par le fait que JCO, ainsi que le gouvernement, pouvait faire de la rétention d'informations ou diffuser des informations incorrectes sur le plus grave accident nucléaire du pays. Le président de l'Université Seika, Hajime Nakao a déclaré que la remise en service du surgénérateur de Joyo, toujours prévue par le gouvernement, lui laisser penser que le gouvernement voulait avoir la capacité de produire des armes nucléaires.

   Dans le cadre de la réorganisation des Ministères et des agences dépendant du gouvernement central, qui commencera en 2001, la Commission de S˛reté Nucléaire (NCS - Nuclear Safety Commission) sera sous tutelle d'un nouveau Cabinet, et aura une plus grande autonomie - étant un organisme consultatif, la NCS n'a pas pouvoir d'autorisation. Ce sera aussi le cas de la Nuclear Energy Commission. Ces deux commissions sont à l'heure actuelle sous tutelle du Premier Ministre.

   Le 15 octobre 1999 lors d'une conférence de presse, JCO a admis qu'une " quantité limitée " d'iode-131 radioactive (20 Bq/m3, soit deux fois la quantité autorisée) avait été relâchée dans l'atmosphère après l'accident, par le système de ventilation du bâtiment dans lequel avait eu lieu l'accident de criticité. La Préfecture et la STA avaient connaissance de ce relâchement d'iode mais n'avaient pris aucune mesure, considérant que les quantités de radioactivité relâchées étaient négligeables. Des concentrations de 0,04 Bq/m3 d'iode-131 ont été détectées à 50 mètres au sud-ouest du bâtiment (le point de mesure étant situé à l'intérieur du périmètre de JCO).

   Selon une déclaration de JCO, la dose reçue par un des membres de la première équipe qui avait approché le bâtiment pour prendre des photos des canalisations sur lesquelles il fallait intervenir, avait d'abord été évaluée à 20 mSv. On a finalement appris que les ouvriers portaient des dosimètres neutrons-gamma à deux chiffres, qui se remettent à zéro après avoir atteint 99. Au lieu de " 20 mSv ", il fallait donc lire " 120 mSv " (neutrons plus gamma, mais essentiellement neutrons). Ceci a été rapporté par la STA le 15 octobre 1999 à la cellule de la NSC qui enquête sur l'accident.
Dans le même rapport, la STA a confirmé que le nombre de personnes exposées se montait à 69. Ce chiffre ne prend PAS en compte les habitants qui sont restés à côté de l'usine pendant 5 heures, sous une douche de neutrons, avant d'avoir été évacués. Le Dr. Komei Hosokawa de l'Université Saga estime que 100 à 150 personnes ont été exposées de façon significative à des rayonnements neutroniques.

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